Grammaire Laze  Gôichi KOJI MA

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Introduction


[1] Où parle-t-on le laz ?

[2]   Le laz a-t-il des langues sœurs ?

[3] Comment écrit-on le laz ?  

0. Phonèmes et Alphabet

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[1]  Où parle-t-on le laz ?

Le laz est parlé principalement dans la petite région du nord-est de la Turquie sur la rive de la Mer Noire. Plus précisément dans les deux provinces de Rize (cantons de Pazar, Çamlıhemşin, Ardeşen et Fındıklı) et d’Artvin (cantons d’Arhavi, Hopa et Borçka).


Les Laz sont une petite minorité à Borçka où la grande majorité de la population parle le géorgien comme langue maternelle.


Combien sont-ils au total ? Personne n’a le chiffre exact. Il n’existe pas de statistique fiable. Les Laz eux-mêmes avancent, sans trop de conviction, un chiffre forcément très approximatif de 250 000 personnes en Turquie.


Notons également que la partie méridionale de Çamlıhemşin est peuplée de Hemşinli turcophones, un peuple islamisé qui parlait autrefois une langue très proche de l’arménien. Seuls les Hemşinli de Hopa ont gardé jusqu’à aujourd’hui leur langue ancestrale. 


Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer de prime abord (et à la prétention quasi-unanime des intéressés !), les Laz sont rarement des marins. Leur région est très montagneuse. Les ruraux pratiquent la polyculture de subsistance dans les vallées étroites: maïs, haricot vert, chou rouge, pomme, poire, prune, pêche, raisin (mais pas de vin, islam oblige ...) sans oublier l’élevage familial des vaches laitières. Il existe des villages dont tous les habitants – sauf les plus vieux qui n’ont plus la force - font la transhumance depuis la nuit des temps. Un des chants laz traditionnels évoque le cœur brisé d’un vieillard qui, dans ses songes, revoit et revit toutes les scènes de la vie sur le haut plateau pendant l’été.


La seule culture véritablement commerciale est, pour quelques années encore, la plantation de théiers qui est remplacée, à cause de la globalisation de l’économie, progressivement et inexorablement par la kiwiculture.


La guerre russo-ottomane de 1877-1878 a provoqué l’exode de Laz de la région de Batumi en Géorgie vers le centre de l’Empire Ottoman et, aujourd’hui, on trouve des îlots linguistiques à Yalova, Karamürsel, Gölcük, İzmit, Sapanca, Akçakoca, Düzce etc. Tous les Laz n’en sont pas partis pour autant. Il existe aujourd’hui en Géorgie, dans la région limitrophe de la Turquie, quelques villages laz (dont la moitié septentrionale de Sarp, village frontalier coupé en deux par le malheureux hasard de l’Histoire avec tous les drames humains que l’on peut imaginer).


De nos jours, bien entendu, on peut rencontrer beaucoup de Laz installés à Istanbul et dans d’autres villes de Turquie ou dans les pays de l’Europe de l’Ouest.

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[2] Le laz a-t-il des langues sœurs ?


Le laz est vraisemblablement une langue sud-ouest caucasienne apparentée au mingrélien, géorgien et svan. Le mingrélien est la langue la plus proche du laz parmi ces derniers.


L’étude sérieuse de la structure linguistique ou du lexique de la langue laze avec toutes ses variantes dialectales n’a fait que commencer. Nous sommes encore très loin de pouvoir faire des recherches comparatives rigoureuses entre le laz et les autres langues sud-ouest caucasiennes.

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[3] Comment écrit-on le laz ?

 

[1929]


En 1929, un alphabet laz a été publié à Soukhoumi, Abkhasie (qui faisait partie de l’URSS à l’époque), sous le pseudonyme d’İskender 3’itaşi (prononcez ts’itachi). C’est la première tentative connue de donner la forme écrite à la langue laze.


Curieusement, le laz utilisé par İskender 3’itaşi est un dialecte du canton d’Arhavi en Turquie. L’alphabet de 3’itaşi n’a pas connu de grande diffusion parmi les Laz d’URSS et resté inconnu de ceux de Turquie durant plus d’un demi-siècle.

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[1967]

  

En 1967, le célèbre linguiste Georges Dumézil, qui avait fait connaissance de quelques Laz d’Arhavi à Istanbul, a publié à Paris un recueil de contes laz. Pour la transcription de la langue laze, il a utilisé un mélange de lettres latines et grecques dont quelques-unes sont surmontées de diverses fioritures, ce qui ne gêne nullement les lecteurs ... à condition d’être linguistes chevronnés. L’ouvrage ainsi rédigé n’a pas pu profiter aux Laz eux-mêmes qui ne savaient lire ni le français ni les lettres grecques.

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[1984]


En 1984, un alphabet laz, inspiré de la transcription de Georges Dumézil, est proposé en Allemagne (de l’Ouest) par Fahri Lazoğlu – un nom qui ne peut être qu’un pseudonyme puisque le nom de famille “Lazoğlu” n’existe pas chez les Laz (encore moins chez les non-Laz) (*).


(*) Fahri Lazoğlu serait feu Fahri Kahraman, natif du village de Sidere à Arhavi, selon le dire d’un grand nombre de Laz.


La Turquie prétendait à cette époque, malgré l’évidence, qu’il n’y avait aucune autre langue que le turc dans le pays (à l’exception du grec, de l’arménien et du ladino). Il y était interdit de parler, lire, écrire ou enseigner le laz, le tchétchène, le zaza ou le kurde.


L’auteur du présent article a été « invité à quitter le territoire turc dans les meilleurs délais» en 1986, alors qu’il était en possession d’un « visa de recherches scientifiques » qui lui permettait exceptionnellement de faire des recherchres de façon officielle sur les langues minoritaires du pays (kurde, zaza et laze), pour avoir tenté (en vain puisqu’il en a été empêché par les forces de l’ordre) de chanter un chant laz traditionnel à l’occasion des noces de ses amis.

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[1991]

Il a fallu attendre le 12 avril 1991, date de l’abolition d’une loi, pour que, en Turquie, il ne soit plus interdit de parler (seulement parler et pas encore lire, écrire ou enseigner) les langues des minorités ethniques dans la vie quotidienne. (Mais pas au Parlement ! Si vous osez, vous êtes en prison. Et il y en a qui ont osé .....) 

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[1993]

En 1993, un groupe de Laz de Turquie ont commencé la publication de la revue Ogni écrite partiellement en leur langue à l’aide de l’alphabet de Lazoğlu. Cet alphabet comportant des signes qui ne se trouvent pas dans les fontes commercialisées pour l’ordinateur, ils ont dû ajouter à la main ce qu’ils ne pouvaient pas écrire à la machine.


Les responsables de la revue ont été accusés de “crime de séparatisme” par l’Etat turc alors que la revue ne contenait aucun article à caractère politique, et la publication de celle-ci a été suspendue.

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[1999]


En 1999, le premier dictionnaire laz-turc voit le jour à Istanbul. Les auteurs sont deux jeunes Laz qui n’ont aucune formation linguistique mais qui ont réalisé ce travail par la passion de leur langue maternelle : un informaticien vivant à Istanbul originaire de Pazar, İsmail Avcı Bucaklişi, et un enseignant mathématicien de Fındıklı, Hasan Uzunhasanoğlu.


En plus des imperfections bien excusables étant donné qu’ils sont de purs amateurs dans le domaine (1), des erreurs de mise en ordre des entrées y sont fréquemment observées à cause d’une grave anomalie se trouvant dans l’alphabet de Lazoğlu : la lettre X se trouve entre H et İ, tandis que la lettre Q est suivie de L. Les ordinateurs, intelligents comme ils peuvent, ne peuvent pas comprendre l’ordre Lazoğlu.


(1) Ils auraient dû tout de même s’abstenir de prétendre que tels mots laz étaient d’origine latine en faisant de l’étymologie populaire. Ils n’avaient pas besoin de prouver leur ignorance totale du latin par ce moyen-là.

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[2002]

Depuis le 2 août 2002, il n’est plus interdit en Turquie d’enseigner ou de publier en ces langues, théoriquement. En fait, les obstacles bureaucratiques sont si importants que les tentatives d’ouverture de cours de langues minoritaires n’ont commencé à aboutir qu’en l’an 2004.


Pour le moment, seuls quelques cours de langue kourmandji (kurde) ont pu démarrer selon les médias. A quand le premier cours de langue laze en territoire turc ?

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[Avril 2003]


En avril 2003, publication à Istanbul du premier recueil de chants laz écrit par Gôichi Kojima, l’auteur du présent article. C’est la première fois que des chants laz ont été publiés avec partition. (Des cassettes ou des CD de chants laz étaient déjà en vente quasi libre avant même la libéralisation du 2 août 2002.) Des rythmes tels que 5/8 ou 7/8, gamme de mi, gamme quasi chromatique, quarte parallèle d’accompagnement ....... la musique laze est aussi originale et riche que leur littérature orale. Il y a des berceuses, des chants de travail collectif, des chants funéraires etc. , mais les plus nombreux sont des chants d’amour non partagé.

Les paroles sont écrites avec l’alphabet de Lazoğlu. La maison d’édition ne disposant pas de personnel lazophone en nombre suffisant, d’innombrables erreurs typographiques n’ont pu être corrigées avant la parution.

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[Juillet 2003]


En juillet 2003, Gôichi Kojima, l’auteur du présent article, et İsmail Avcı Bucaklişi, un des coauteurs du premier dictionnaire laz-turc, ont publié une grammaire laze intitulée «Lazca Gramer / Lazuri Grameri / Laz Grammar» rédigée en turc et en anglais en utilisant l’alphabet de Lazoğlu partiellement modifié.


Kojima a effectué des recherches dialectologiques et musicologiques sur le terrain en sillonant les villages laz de la côte, des vallées, des montagnes sans oublier les hameaux saisonniers de transhumants jusqu’à 3500m d’altitude. Bucaklişi s’occupait surtout à recueillir des contes populaires auprès des vieilles personnes de son village natal.


L’ambition des deux auteurs était d’unir leur savoir afin de créer un ouvrage de référence incontournable pour l’étude de la langue laze. Kojima y croyait encore fin juin 2003 à la veille de la parution jusqu’au moment où il tombe sur une copie de la version à paraître qu’il ne reconnaissait pas. Bucaklişi avait changé le texte sur presque toutes les pages à l’insu de Kojima.


D’innombrables passages en anglais était transformés en traduction mot-à-mot du laz en anglais, ou du turc en anglais.


D’innombrables mots laz était inventés de toutes pièces et présentés comme s’ils existaient depuis la nuit des temps.


Le Préface en turc était remplacé par le brouillon rédigé en février 2003 qui faisait omission du fait que Bucaklişi n’a fait le travail sur le terrain que dans trois endroits : son village natal, celui de son beau-père et un troisième village.


L’Introduction en anglais était littéralement massacrée et comportait dorénavant des contre-vérités - donc des mensonges – dont la responsabilité incombait à Kojima qui n’y était pour rien.

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Il est hors de question pour Gôichi Kojima de laisser la chose en l’état. Il a d’abord publié dans ce site web de volumineux errata de la Grammaire. Mais ce n’est absolument pas suffisant. Il a ainsi décidé de refaire toute la rédaction pour écrire une nouvelle Grammaire laze à sa seule résponsabilité en éliminant, bien entendu, tous les éléments venant uniquement de son ex-informateur privilégié. Et ceci même si certains d’entre eux ne semblent pas faux, en attendant la vérification par d’autres lazophones.

Les ouvrages concernant les langues ultraminoritaires, qui, de surcroît, sont en danger de disparition en une ou deux générations comme le laz, n’ont aucune chance de trouver un éditeur commercial. C’est pourquoi Kojima a décidé de tout publier sur le web.

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[Juin 2004]


La deuxième semaine de juin 2004 restera dans la mémoire des minorités ethniques de Turquie : la première émission en kourmandji (une des langues kurdes), zaza, circassien, bosniaque etc a été diffusée par des chaînes publiques de radio et de télévision. Même si elle est limitée à seulement 3 à 4 heures par semaine et qu’elle concerne uniquement des programmes d’actualité et de chants folkloriques, les Kurdes, les Zazas et quelques autres auront été heureux cette semaine-là. Mais ce n’est pas le cas des Laz. Il n’y a pas d’émission en langue laze pour le moment. Les Laz sont-ils laissés pour compte ? Et pourquoi ?

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[Juillet 2005]


En juillet 2005, à Istanboul, Nurdoğan Demir Abaşişi, habitant de Rize-Fındıklı, publie un recueil de contes laz (“Lazuri P’aramitepe/ Laz Halk Masalları”, Kolkhis, İstanbul) avec un CD.


L’auteur du livre bilingue laz-turc ne cache nullement qu’il a emprunté des mots laz d’autres régions que son Fındıklı natal. Son but est d’empêcher que ces mots ne tombent définitivement dans l’oubli. On peut toutefois regretter que la quasi-unique source d’informations sur les autres dialectes laz soit les écrits de ... İsmail Avcı Bucaklişi.

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[Juillet 2009]


Le 20 juillet 2009, Kâmil Aksoylu, un Laz originaire d’Arhavi-Lome, a publié son premier livre intitulé “Laz Kültürü” (= La Culture Laze) (Ankara, Phoenix Yayınevi).


Ce livre contient (p.40 ~ 49) un article écrit par Gôichi Kojima qui explique dans un langage accesible au grand public que l’hypothèse antédiluvienne de “famille des langues ouralo-altaïques” n’a rien de crédible contrairement à ce qui est toujours enseigné en Turquie.

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0. Phonèmes et Alphabet


0.1. Voyelles

0.2. Consonnes

0.3. Alphabet

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0.1. Voyelles  


Tous les dialectes laz ont cinq phonèmes vocaliques : i, e, a, o et u (prononcez ou).

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0.2. Consonnes


Le nombre des phonèmes consonantiques du laz varie selon les dialectes. Il faut 38 lettres (dont 3 digrammes) pour écrire phonologiquement les consonnes de tous les dialectes laz.


Tableau des phonèmes consonantiques lazes





A

B

C

D

E

F

G

H

occlusives

nasales

sonores et sourdes

m


n [n] [ŋ]



explosives

sourdes

non-éjectives

p


t


ky [ki]

k



éjectives

p’


t’


ky’ [ki’]

k’



sonores

b


d


gy [gi]

g [g]



affriquées

sourdes

non-éjectives



3 [ts]

ç [t∫]





éjectives



3’ [ts’]

ç’ [t∫’]





sonores



z* [dz]

c [d3]





non-occlusives

fricatives

sourdes

non-éjectives


f

s

ş [∫]



x [χ]

h

éjectives







x’ [χ’]


sonores


v

z

j [3]



ğ [γ]


approximantes

sonores

[w]



r

y [j]




latérale

sonore




l






La consonne approximante bilabiale [w] est une des variantes du phonème /v/.


Le phonème représenté par la lettre “r” n’est pas une vibrante. C’est une approximante apicale postalvéolaire. [Le Document massacré (p. 419) décrit une variante vibrante de ce phonème. Nous ne l’avons rencontré.]

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0.3. Alphabet


Les Laz sont loin d’être unanimes en ce qui concerne l’écriture de leur langue.


Voici l’alphabet laz utilisé dans le présent ouvrage. A la différence de l’alphabet de Lazoğlu, celui-ci ne comporte pas de lettres introuvables dans les fontes communément commercialisées.

A, B, C, Ç, Ç’, D, E, F, G, Gy, Ğ, H, İ, J, K, K’, Ky, Ky’, L, M, N, O, P, P’, R, S, Ş, T, T’, U, V, X, X’, Y, Z, Z*, 3, 3’


 

■ L’accent n’est pas marqué dans l’écriture laze. Les Laz n’en ressentent pas le besoin dans la mesure où la place de l’accent dans une unité accentuelle est déterminée, à quelques exceptions près, de façon automatique par les morphèmes qui la composent. L’accent est d’ailleurs bien moins marqué en laz que dans les langues comme l’allemand, l’anglais, l’italien ou le russe.